
Valentine Cuny-Le Callet : l’étude des images dans le couloir de la mort
Aujourd’hui scénariste et illustratrice, après des études à l’École nationale Supérieure des arts décoratifs de Paris (ENSAD), orienté images imprimées, Valentine Cuny-Le Callet s’est engagée dans une thèse en arts plastiques et création contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Cette dernière portait sur les images dans le couloir de la mort et l’a menée à l’obtention de son doctorat le 4 mars dernier.
Après plusieurs années d’une amitié nouée par correspondance avec un détenu condamné à mort aux États-Unis, Valentine Cuny-Le Callet a décidé de consacrer son sujet de thèse ainsi qu’un projet de récit graphique à la place de l’art et des images dans le milieu carcéral.
Une correspondance entre les barreaux
Après avoir achevé son premier et deuxième cycle au sein de l’ENSAD avec en spécialité les images imprimées, Valentine poursuit ses études avec la rédaction d’une thèse co-dirigée par Christophe Viart, enseignant-chercheur en architecture, arts plastiques et science de l’art à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
En 2016, à l’âge de 19 ans et mue par ses engagements personnels, Valentine s’engage auprès de l’Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT) et commence à correspondre avec un condamné à mort américain. Au travers de cette association, elle est mise en contact avec Renaldo McGirth. Au fil du temps, ils se découvrent une passion commune pour le dessin. De cette passion découlera le sujet de thèse de la docteure ainsi qu’un projet de récit graphique développé dans sa continuité. L’amitié qu’elle a développée avec ce dernier a eu un impact important dans son choix de « parler des couloirs de la mort de façon plus globale ». Sensible aux thèmes de la peine de mort et du milieu carcéral et touchée par son amitié avec Renaldo McGirth, elle publie un premier ouvrage en 2020 intitulé Le Monde dans 5 m2.
Puis, l’autrice a ressenti le besoin d’aller plus loin et d’approfondir le thème de la politique des images au sein des prisons. Si de nombreuses personnes dans le couloir de la mort ont une pratique artistique en dehors des ateliers proposés au sein de l’établissement pénitentiaire (ces ateliers sont inexistants dans le couloir de la mort, à l’exception d’une partie des détenus du couloir de la mort du Tennessee), les images qui entrent et qui sortent d’une prison sous haute surveillance sont très contrôlées, Valentine Cuny-Le Callet parle d’un lieu « où rien n’est laissé au hasard avec un arbitraire mis en place par l’administration pénitentiaire ».
Des images pour s’évader
Soutenue le 29 novembre 2024, au cœur d’une exposition de ses travaux dans l’espace Louise Michel / Le temps des cerises, sa thèse se structure en deux parties : une première partie théorique avec un dossier intitulé Images de la maison des morts. Créer, témoigner, résister. Et une seconde partie dédiée à un travail plastique avec la réalisation d’un ouvrage graphique, Perpendiculaire au soleil, publié en 2022 aux éditions Delcourt.
Dans sa thèse, son objectif était de « décrire un pan de la société américaine contemporaine en ramenant le rapport à la punition, à la religion, à la peine de mort et au capitalisme carcéral au centre du sujet. » elle s’intéresse à la circulation et à l'appropriation des images réalisées par les prisonniers du couloir de la mort, allant « du dessin gribouillé sur le coin d’une enveloppe au grand tableau fait sciemment pour être exposé. » Pour mener à bien ce travail de recherche, il a été nécessaire pour la chercheuse : « d’examiner les images comme si elles étaient vivantes, comment elles forment un écosystème et interagissent avec nous. Ce sont des images qui, en tant qu’objets matériels, ont une vie. La preuve : on les détruit, on les brûle parfois, ou alors on les conserve précieusement, on les reproduit… »
L’essentiel de l’analyse de cette thèse repose sur l’observation, sur les témoignages des personnes concernées, des condamnés, mais aussi de leur famille et des personnes impliquées dans la mise en place des expositions. Pour réaliser sa thèse, la doctorante a entamé des correspondances avec plusieurs condamnés à mort. Le couloir de la mort étant un espace très fermé et déconnecté du monde extérieur, la question de « comment les contacter ? » s’est rapidement posée. Elle a ainsi sollicité des détenus dont il existait des preuves qu’ils avaient déjà une pratique artistique sur des blogs, des pages Facebook, etc. Si les femmes sont minoritaires et ne représentent que 2 % des condamnés à mort aux États-Unis, elle souhaitait les inclure dans son projet. Pour son enquête de terrain, elle a ainsi pu correspondre avec une quinzaine de personnes et rassembler environ 3 000 images. Dans le cadre de ce travail, la docteure a dû relever de nombreux défis tant sur le plan humain qu’émotionnel. « Être confrontée à des personnes ayant des passés difficiles, cela force à s’interroger sur bien des thématiques, au-delà des arts plastiques. Je me suis intéressée à des sujets de droit, de psychiatrie, de psychologie, de criminologie et de victimologie également. Des sujets sur lesquels je n’avais aucune qualification préalable, mais dont l’étude était indispensable pour écouter. Plus on étudie, plus on se rend compte de l’abysse de notre méconnaissance. »
Un chapitre de sa thèse est consacré au murderabilia, mot-valise issu de la contraction de memorabilia et murder désignant les objets dont la valeur commerciale est déterminée par leur proximité avec des crimes ou des criminels réels (de la voiture de Bonnie et Clyde jusqu’aux dessins de Charles Manson). Les images créées par les condamnés à mort en font partie. Son objectif est de se détacher de la morale et de « comprendre la place de ces objets considérés comme hideux dans la société et les usages qui en sont faits. » Pour cela, elle a dû adopter un regard neutre.
Un monde en noir et blanc
Dans la continuité de la rédaction de sa thèse, Valentine Cuny-Le Callet a réalisé un travail plastique mis en lumière dans son ouvrage Perpendiculaire au soleil, qui a reçu le Prix BD Fnac France Inter 2023. Si la partie théorique de sa thèse a été entièrement écrite par la docteure, le roman graphique a été conçu à quatre mains avec Renaldo McGirth. L’autrice et illustratrice y questionne avec ces images la brutalité du système carcéral et l’amitié qui surgit depuis une cellule de 5 m². Elle a réalisé la majorité des images telles que les planches au crayon et les gravures en taille d’épargne type linogravure, xylogravure en noir et blanc. Toutes les images en couleurs représentant notamment des fleurs et des paysages ont quant à elles été réalisées par Renaldo McGirth. « Ces paysages de cartes postales qu’on pourrait facilement déconsidérer à cause de leur aspect kitsch ont été réalisés par une personne qui n’a pas touché un brin d’herbe depuis 2008. Et ça n’a pas la même valeur », insiste-t-elle. Pour aller plus loin, l’illustratrice utilise la notion - développée notamment par J.R.R. Tolkien - d’escapism qui désigne la capacité de s’évader par l’art, mais aussi le fait de formuler la critique de l’institution (qu’il s’agisse d’une idéologie, d’un ordre politique, ou d’un lieu géographique) dont on veut s’évader. Pour Tolkien « l’évasion du prisonnier n’est pas la fuite du déserteur. »
Ce travail collaboratif a nécessité des allers-retours constants de lettres et d’images. Et ces images – entrantes ou sortantes – sont vérifiées et parfois censurées par l’administration. Le rapport de la prison aux images est complexe. De nombreuses images envoyées par la docteure à Renaldo McGirth ne sont jamais parvenues entre ses mains. Cette censure a été tellement présente qu’elle constitue même une partie de l’ouvrage. L’illustratrice a également été confrontée à la responsabilité des enjeux de représentation et de regard, car, à la demande de Renaldo McGirth, c’est elle qui a notamment illustré les images de son enfance.
Aujourd’hui, Valentine Cuny-Le Callet envisage de continuer à travailler sur ces thématiques et s’intéresse notamment aux images dans les productions de true crime avec leurs usages, leur rôle dans la narration et leur lien avec la figure du monstre. « Toute étude de la fabrication et de la vie des images est politique, et permet de briser l’opinion commune qui feraient des images une décoration accessoire, sans impact concret sur nos sociétés. »